Le Code du travail français n’a jamais été le fruit d’une unique décision politique ou d’une volonté isolée. Sa création relève d’un processus fragmenté, marqué par l’addition progressive de lois éparses et souvent contradictoires, parfois même adoptées sous la pression d’événements sociaux majeurs.
Jusqu’au début du XXe siècle, les règles applicables aux relations de travail figuraient dans différents codes, décrets et circulaires, sans compilation cohérente. L’adoption officielle du Code du travail en 1910 ne correspond pas à une élaboration ex nihilo, mais à une opération de rassemblement et de structuration d’un patrimoine juridique déjà complexe.
Aux origines du droit du travail en France : contexte social et enjeux du XIXe siècle
Au XIXe siècle, la France traverse un bouleversement radical : l’industrialisation repousse les repères traditionnels, façonne une population ouvrière dense, regroupée dans des usines à Lyon ou dans les faubourgs de Paris. Très vite, la question du travail des enfants secoue l’opinion. Les journées interminables, la précarité, l’absence totale de protection deviennent le quotidien de milliers de familles. Les revendications surgissent, la tension monte.
Après la Révolution française, les corporations ont disparu, laissant les travailleurs sans structure collective, sans filet de sécurité. Progressivement, une première riposte législative prend forme : en 1841, un décret interdit d’employer des enfants de moins de huit ans dans les établissements industriels dépassant vingt salariés. Cette avancée reste embryonnaire : sur le terrain, la loi s’applique rarement à la lettre.
Lyon, et ses canuts révoltés, illustre la dynamique de l’époque. Les tisseurs réclament la fixation d’un salaire minimal, préfigurant la notion de convention collective. Mais la première loi ouvrière n’aborde pas encore la durée du travail adulte ; elle esquisse, sous la pression, quelques balises. Le droit du travail s’élabore ainsi, morceau par morceau, à mesure que les crises sociales forcent le changement.
Qui sont les principaux acteurs à l’origine du Code du travail ?
La naissance du Code du travail s’explique par la rencontre de forces multiples : l’État, les représentants des salariés, les organisations patronales. Au tournant du XXe siècle, la création du ministère du Travail en 1906 marque un pas décisif. Ce ministère coordonne et structure la construction du droit social, en recueillant les revendications et en impulsant la rédaction de nouvelles lois.
Peu à peu, les syndicats s’affirment comme des interlocuteurs de poids. La CGT, fondée en 1895, rassemble et porte la voix du monde ouvrier. Elle défend la réduction du temps de travail, l’amélioration des conditions d’emploi, la reconnaissance des droits collectifs. De l’autre côté, les organisations patronales défendent la souplesse des entreprises et la liberté d’entreprendre. La IIIe République voit défiler des lois majeures, mais c’est sous le Front populaire, en 1936, que les négociations prennent une ampleur inédite. Léon Blum arbitre alors un rapport de force féroce : conventions collectives, congés payés, droits nouveaux. Le Conseil national économique, ancêtre du CESE, joue aussi un rôle d’expertise, nourrissant le débat et la codification. Le Code du travail, tel qu’il apparaît en 1910, rassemble cet héritage, fruit d’un dialogue parfois tendu entre toutes ces forces.
Pour mieux comprendre les rôles de chaque acteur, voici les principaux intervenants à l’origine de ce texte fondamental :
- Ministère du travail : il coordonne et rédige, centralise les textes et impulse les grandes réformes
- Syndicats ouvriers (CGT, etc.) : ils négocient collectivement et portent les revendications du monde du travail
- Organisations patronales : elles participent aux discussions, défendent les intérêts des employeurs et pèsent sur les arbitrages
- Gouvernement et parlementaires : ils arbitrent, légifèrent et valident les compromis trouvés
De la première loi ouvrière à la codification : étapes marquantes de la création du Code du travail
Le droit du travail français prend racine dans la seconde moitié du XIXe siècle, au fil de réformes qui visent d’abord à protéger les plus vulnérables : les enfants. En 1841, une première loi encadre leur emploi dans les manufactures, posant une base fragile mais réelle.
Après la Première Guerre mondiale, le débat se déplace : la réduction du temps de travail s’impose. La loi de 1919 fixe la semaine à 48 heures, puis, sous le Front populaire, la semaine de 40 heures et l’avènement des congés payés en 1936 changent la donne. La légitimation des conventions collectives, la mise en place des conseils de prud’hommes, instances de résolution des conflits professionnels – viennent structurer ce nouveau paysage.
La codification s’opère en 1910 à l’initiative du ministère du Travail. L’objectif : regrouper des textes disparates, clarifier et mettre en cohérence un corpus juridique devenu tentaculaire. Après la Seconde Guerre mondiale, le Code s’étoffe encore : contrat de travail, protection sociale, apparition du SMIC en 1970. Les influences extérieures s’affirment aussi : la France s’aligne sur les recommandations de l’Organisation internationale du travail et, parfois, s’inspire de pratiques venues du Luxembourg pour enrichir son arsenal juridique.
Pourquoi le Code du travail continue-t-il d’évoluer au fil des décennies ?
Le Code du travail ne connaît pas de pause. Il se transforme au rythme du monde du travail et des mutations sociales. Les avancées technologiques, les évolutions démographiques, les chocs économiques forcent l’adaptation en continu.
Le télétravail en est une illustration récente : longtemps marginal, il a imposé de nouveaux textes pour encadrer la santé, la sécurité, la gestion du temps, mais aussi prévenir l’isolement des salariés. Les règles se sont aussi adaptées pour préserver les droits fondamentaux, sans freiner l’innovation.
Regardez du côté des petites structures : TPE, PME, artisans. Leurs besoins n’ont rien à voir avec ceux des géants industriels d’hier. Les mécanismes de conciliation et d’arbitrage ont été repensés pour mieux répondre à la diversité du tissu économique : conflits collectifs, dialogue social, gestion des risques professionnels. L’hygiène et la sécurité ne se limitent plus aux usines ; elles concernent les bureaux, les chantiers, la logistique : chaque secteur réclame des règles adaptées.
À chaque étape, modifier le Code du travail consiste à trouver la bonne articulation entre protection des salariés et agilité des entreprises, entre progrès social et exigences économiques. Prévention des risques, clarification des procédures, prise en compte des formes d’emploi nouvelles : le texte évolue pour que le droit du travail reste un repère solide, pour tous, du salarié à l’employeur.
Le Code du travail n’est pas le vestige poussiéreux d’un passé révolu : c’est un organisme vivant, sans cesse retouché, qui continue d’écrire son histoire au gré des crises et des aspirations collectives. Qui sait quelle forme il prendra demain ?


